lundi 13 février 2012

Ce geste


Tristan Garcia, Toute l'Histoire humaine s'avance vers un seul but uniqueSchnock n°1 :

" [...] la balle ne touche plus terre, les joueurs se trouvent comme en rêve, les Allemands, presque admiratifs et spectateurs se trouent avec la lenteur malhabile de la réalité embarquée sans prévenir dans la musique bien réglée d'un songe et c'est Bloem, le blond, dos au but, qui réceptionne oriente et détourne le cuir vers la gauche, effleuré à peine par le Bavarois Hammer, qui participe sans le vouloir à la chose, maus, prolongée finalement du crâne par l'ailier japonais d'Ajax, Edo, la trajectoire de la balle trouve au coin de la surface de réparation, en retrait, Flanders, Jan Flanders ! Ce geste..."


Ce geste j'aurais bien aimé le retrouver en vidéo. Honnêtement, j'ai cherché. Cinq minutes. Mais c'est plus fort que moi j'ignore le foot d'une mauvaise foi maladive. La coupe du monde de 1998 par exemple, j'étais à deux pas, en stage chez France Soir à Saint Denis. Je passais deux fois par jour devant le stade. Et seul anglophone qu'ils avaient sous la main je partais le matin interviewer pour je journal les supporters écossais, je traduisais des articles anglais sur les hooligans qui, c'était sûr, allaient débarquer chez nous et mettre Paris à feu et à sang... L'Histoire, majuscule comprise, à deux pas, à portée de main. Et je n'ai pas regardé un seul match. Pas même la finale.

Pourtant le foot' j'y ai joué, enfant. Poussin, puis minime. Le club s'appelait SCO' quelque chose (Saint Plantaire Cuzion Orsennes). Trois communes avaient mis en commun un budget, juste assez pour entraîner un groupe de gosses les mercredis après midi et payer l'essence du minibus pour les matches du samedi matin. J'étais arrière gauche, maillot numéro 2... Et j'étais pire que mauvais : un joueur passable. Juste assez de volonté pour courir après des ballons que je n'attraperais jamais. Celui qu'immanquablement le coach félicitait quand l'équipe avait été mise minable une fois de trop.

Mais voilà moi j'avais un rêve secret, marquer un but. Dur, quand on est un défenseur moyen... Et puis un jour l'occasion se présente. Coup de chance plus qu'intelligence du jeu je me trouve seul en possession du ballon. Je dribble - miracle ! - un défenseur adverse, je distance tout le monde. Plus rien entre moi et le filet adverse qu'un demi-terrain et le gardien adverse. Je remonte, je vole, porté par mon fantasme... C'est MON moment. Lucide sur la distance qui me sépare des filets je laisse le ballon prendre un peu d'avance, trois pas comme à l'entrainement, je vais frapper, mon équipe retient son souffle, j'arme mon pied droit et ce geste...

Ce geste manque de force. Je suis à bout de souffle, je n'ai plus rien dans les jambes, c'est un tir arthritique, pitoyable, qui ne menace en rien le garçon en face. Il se marre à moitié en ramassant une balle qui roule droit vers ses mains. Je sens bien que j'ai déçu tout le monde dans mon camp, mais il ne le montreront pas.

Je n'aurai jamais marqué de but. Je hais ce sport désormais, que j'arrêterai l'année suivante sous un prétexte bidon : le brevet à préparer. Alors Jan Flanders et la coupe du monde de 78, vous comprenez...
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