mardi 24 avril 2018

Ligne 8

Crédit photo : Pixabay


République. Je trouve une place assise.

Strasbourg - Saint-Denis. Côte à côte, épaule contre épaule. Comme moi il part travailler un peu fatigué. La cinquantaine ? Il lit des mails sur un smartphone. Il se tient - même assis - comme un ancien militaire. La raideur, et puis ses vêtements, usés un peu, pratiques, son sac besace...

Bonne nouvelle. Il balaye l'écran d'un coup de pouce, des intitulés de mails défilent, il s'arrête sur un. Relevé de comptes, Le Crédit Lyonnais. Il le parcourt, zoom sur une ligne de dépense, le ferme, en ouvre un second.

Grands boulevards. Un titre froid, concis... clinique. Il en est destinataire, c'est "pour action", on attend son expertise. Il l'ouvre sur une dizaine de photos. Il se concentre sur une ou deux, les agrandit, examine un détail. Une trainée épaisse rouge confiture, le coin des lèvres, un visage blanc. Pas pâle, pas cireux : blanc. Tellement blanc d'ailleurs que j'hésite et crois encore un instant à un happening, à une sculpture. Les yeux sont clos.

Richelieu-Drouot. Pas de soupir, aucune émotion visible. Il ferme le message puis Gmail (j'ai juste le temps de lire son objet une dernière fois : "Photos scène de crime Chloé T***").

Opéra. Il ouvre Les Echos, scanne un article ou deux.

Madeleine. Il quitte la rame.

mardi 17 janvier 2017

samedi 27 août 2016

Sonya


Her watch has ended.

mardi 16 août 2016

Etude en rouge


Mark Rothko - Black in Deep Red
J'ai vu la scène cent fois, quasiment toujours le même documentaire. Les oiseaux dessinant des cercles concentriques de plus en plus serrés, jaugeant le corps. Est-ce qu'il est bien mort, est-ce que j'ai le droit de me servir, qu'est-ce que je risque.

Et puis un premier se pose, ose toquer le cadavre du bec. D'autres aimeraient suivre son exemple, ballet sautillant d'hésitations et de désirs contradictoires. Le premier s'enhardit, pince la peau et tire dessus. Il teste sa résistance : le corps tressaute sous l'affront. Quelques oiseaux méprennent le soubresaut pour un signe de vie et s'éloignent un instant, mais le festin est annoncé.

Sous la peau, la richesse supposée. Crevée elle libérera un premier trésor, puis d'autres. Les morceaux les moins appréciés seront rejetés à même le sol, les plus bas dans l'échelle alimentaires les ramasseront plus tard. Les insectes enfin finiront de nettoyer les os et il ne restera sur eux que la peau, dessinant un animal trop plat, une contrefaçon dérangeante. La trace imprimée dans la terre du passage d'une vie.

Je croise donc ce matin-là un petit attroupement de cinq ou six riverains. Ils tournent autour des restes qu'un voisin vient de déposer sur le trottoir. Valse d’hésitation. Deux sacs poubelles gonflés, fermés, étiquetés "chausserie" & "vêtements". Trois cadres, un meuble démonté, des babioles.

Vaguement honteux de mon envie, de ma curiosité, je ne m'arrête pas. Pourtant au dos de l'un des cadres deux cartes postales. Qui cache ses secrets entre une reproduction et le mur ? Je m'éloigne.

Et puis dix minutes plus tard je négocie avec ma conscience un vague prétexte pour descendre à nouveau cette rue. Acheter une baguette à l'angle. Et puis j'ai besoin de cadres.

Une voisine ravie emporte sous mes yeux un petit chevalet de peintre, ceux qu'on utilise pour exposer les petits formats. Une autre un étendoir à linge. Un des sacs est éventré, sous la peau de plastique noir les restes d'une vie. Des bottines, des chaussures en bon état. Deux dames voilées sortent du second pull après pull, avec un respect quasi-religieux. Elles trient des reliques, replient et rangent ce qu'elles n'emporteront pas. Moi, j'hésite toujours. Je tourne.

Un homme moins attentionné, dans les souvenirs jusqu'aux chevilles, m'encourage du regard. J'arrache à mon tour mon lambeau, en grommelant mon vague "j'ai besoin de cadres". Le sentiment ridicule de devoir me justifier.

Je pars avec comme un voleur, je n’observerai en détail ce que j’ai pris qu’une fois enfermé chez moi. Deux cadres Ikea, métal noir brossé, immaculés. Des reproductions d'études par Mark Rothko.

C'était hier. Ce soir en rentrant du travail je ferai un détour mais il ne restera presque plus rien. Des reliefs de reliefs. Empreinte dans le trottoir du passage d'une vie.

Elle aimait l'art contemporain. Epoussetait le haut des cadres. Chaussait petit. Habitait rue des Pyrénées.

Les cartes postales ne sont plus là.

Je n'en saurai pas plus.

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